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Mark Springer livre « Sleep of Reason » : Quand les monstres prennent la parole, à cordes déployées

Mark Springer livre « Sleep of Reason » : Quand les monstres prennent la parole, à cordes déployées
  • Publishedmai 1, 2025

On entre dans Sleep of Reason comme dans une crypte aux murs tendus de cordes frémissantes, un théâtre de la nuit où le réel dérape doucement, morceau après morceau. Mark Springer ne compose pas ici un album à écouter distraitement en fond sonore : il bâtit une architecture d’ombres et de nerfs, un triptyque instrumental qui traverse la solitude du piano, les fièvres du quatuor et le surgissement de la voix — celle, incandescente, de Neil Tennant. Treize pièces, comme autant de stations d’un chemin de croix contemporain.

https://subrosalabel.bandcamp.com/album/sleep-of-reason

Phantoms and Monsters ouvre le bal avec un frisson. C’est une déclaration d’intention, tout en tension rentrée : une marche de funambule sur un fil barbelé, entre classicisme désossé et menace électronique sourde. On y sent déjà la main de Goya — celle qui dessine l’invisible. Springer y cisèle une esthétique du trouble : la peur y est feutrée, contenue, presque élégante.

A Witch and a Devil prend la suite comme un tableau de Jérôme Bosch où les figures grotesques valsent sur une mélodie brinquebalante. Le piano devient alors grinçant, presque joueur, mais jamais apaisé. Il y a dans cette pièce une ironie noire, presque carnavalesque — comme si la sorcière et le diable n’étaient rien d’autre que les avatars d’un monde trop rationnel.

Truth is for Losers est une gifle. Une pièce courte mais acérée, aux dissonances nettes, presque sarcastiques. On entend ici la critique frontale, celle d’un monde où la vérité devient accessoire, un luxe pour naïfs. Springer claque ses accords comme des slogans vides, et le silence qui suit est encore plus brutal.

Schmutzig, en moins d’une minute, condense une ambiance de fin de rave dans une ruelle humide. Le titre (“sale” en allemand) évoque ce qu’on ne veut pas nommer. C’est un interlude étrange, comme un battement d’aile dans un grenier abandonné.

My Friend the Monster est la pièce centrale du premier volet. Elle s’étire sur près de sept minutes comme une confidence en pleine nuit. Ici, le piano dialogue avec les cordes comme deux ex-amants qui se retrouvent après l’apocalypse. C’est une valse amère, mais d’une beauté poignante, une déclaration d’amitié à ce que l’on fuit habituellement en soi : la monstruosité intime.

The Madness of the Summer arrive comme une hallucination. Les harmoniques s’échauffent, les structures s’effritent. On pense aux étés trop longs, aux nuits qui n’en finissent plus, aux émeutes en sourdine. La musique avance en spirale, jusqu’à la suffocation.

Le triptyque Morn, Noon, Night dessine un cycle journalier fantasmé, presque cosmique. Morn évoque un lever de jour inquiet, tout en frottements et tensions retenues. Noon est une pièce solaire mais instable, où les motifs se répètent jusqu’à l’hypnose. Night, en revanche, est une cathédrale gothique de onze minutes, où les ombres s’étirent, se mêlent, s’effacent. C’est la pièce la plus ambitieuse, la plus désespérée aussi. On y entend presque des hurlements étouffés dans les pizzicati.

Puis viennent Break, Flight, Dark et Moon — l’ultime cycle du disque, où la voix de Neil Tennant apparaît comme un spectre qui viendrait commenter les ruines. Sur Break, il entame un chant spectral, à mi-chemin entre le spoken word et l’oratorio, tandis que les cordes s’effilochent dans une tension qui ne se résout jamais.

Flight est un sommet : 20 minutes de vertige, de crescendo et de dérive. C’est là que Springer atteint une forme de folie orchestrale, un chaos organisé d’une puissance cinématographique. On pense à Ligeti, à Max Richter, mais aussi à l’opéra industriel d’un monde post-effondrement. Tennant, discret mais omniprésent, injecte une humanité tremblante dans cet espace en décomposition.

Dark est une chute lente. Une marche funèbre, mais sans cercueil. Les sons se délitent, les harmonies se cassent. C’est le silence qui gagne du terrain.

Et puis vient Moon. Treize minutes suspendues. C’est l’épilogue lunaire, la berceuse de l’après-cauchemar. La lumière revient, mais elle est bleue, voilée, mélancolique. Tennant y chante comme on récite un poème d’adieu.

Sleep of Reason est une fable contemporaine, noire et lyrique, sur un monde qui court à sa perte avec élégance et absurdité. Springer, en architecte de l’inconscient collectif, offre ici un chef-d’œuvre inclassable — entre musique de chambre, manifeste politique, et journal intime. Un disque rare, nécessaire, qui ne laisse aucune raison dormir tranquille.

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Written By
Extravafrench

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