Il y a dans la voix de Steven Wayne Smith, alias Kilravock, quelque chose de dur et de cassé, un nerf à vif qui parle au nom de celles et ceux que l’histoire officielle laisse toujours en marge. Avec Tyranny of the Clock, il livre un manifeste musical, tendu comme une banderole au-dessus des ruines du rêve américain. Six titres acérés, trempés dans l’huile noire du bitume ouvrier et nourris à la colère des siècles passés — du folklore militant à la noise post-indus.
Le morceau d’ouverture, Who Killed Saint Monday?, est une claque. Inspiré par les écrits de George Woodcock, ce titre est un uppercut punky qui ressuscite la question centrale du temps volé. Le rythme martèle comme un marteau-pilon, et l’ironie amère du titre (“Saint Monday” désignant jadis les lundis d’absentéisme festif des ouvriers) fait mouche. On pense à Fugazi, à Shellac, mais aussi à The Fall dans cette façon de psalmodier les désillusions.
Puis vient Solidarity Forever, reprise métamorphosée de l’hymne des IWW. Exit la ferveur folklorique — ici, Smith la drape d’une tristesse post-apocalyptique. C’est un chant funèbre, lent, traversé de voix fantômes et de nappes qui suintent le deuil et le désespoir. Un requiem pour les syndicats tombés au champ d’honneur du néolibéralisme. Et pourtant, il y a de l’espoir dans cette morosité volontaire : les chœurs dissonants, les collaborations amicales, le retour à l’union par la musique.
Les titres Incompatibility et Working Class Hero sont revisités, affûtés comme des lames rouillées. On sent la maturation, le mix qui gagne en rugosité, en densité. La reprise de Lennon, déjà vitriolée à sa sortie, gagne ici en profondeur. Smith n’imite pas : il déchire, déconstruit et reconstruit à sa manière. Une manière sale, dense, habitée.
En fin de course, Labor Day (par The Alliterates) et Beg For Scraps (signée Lucid Fugue) ouvrent la porte à la schizophrénie musicale de Smith. L’une ancrée dans une veine post-punk hargneuse, l’autre dans une ambiance déréglée à la Coil ou Nurse With Wound. Deux facettes d’un même cri — celui d’un homme qui ne veut pas faire le tri entre l’esthétique et l’éthique.
Tyranny of the Clock est plus qu’un disque de gauche. C’est un journal de bord. Une radiographie sonore d’un monde qui écrase. Et qui trouve, dans la musique de Kilravock, une langue pour nommer la violence invisible. Un disque à écouter au casque, dans un RER vide ou en bord de chaîne, quand la sirène de l’usine sonne encore dans la tête.
Pour découvrir plus de nouveautés ROCK n’hésitez pas à suivre notre Playlist EXTRAVAROCK ci-dessous :
