À l’écoute de Reverse, une étrange sensation d’apesanteur vous envahit. Comme si Joshua Scurfield, cerveau solitaire de Shockpowder, vous tirait doucement vers un autre plan d’existence — celui où l’air est lourd d’électricité statique, où chaque pas résonne à rebours, où même les souvenirs semblent s’effacer à mesure qu’ils se dessinent. Il y a dans ce morceau une beauté douloureuse, presque insoutenable, comme ces rêves où l’on court en arrière, prisonnier d’une boucle qui refuse de se briser.
Dès les premières secondes, la voix émerge, fragile, presque étouffée, posée à même la surface d’un océan de guitares saturées. Ces guitares ne se contentent pas d’accompagner : elles ondulent, elles grondent, elles forment une mer mouvante sur laquelle la mélodie dérive. On sent l’héritage du shoegaze, mais ici la brume n’est pas douce, elle est acide. Elle racle la gorge et pique les yeux, rappelant les brûlures intérieures de Slowdive ou la densité rêveuse d’Alcest.
La production, signée Scurfield lui-même, est volontairement granuleuse. Chaque couche semble avoir été sculptée dans le souvenir — un souvenir que l’on tente d’effacer, sans jamais y parvenir. Les 808 profondes, les distorsions maîtrisées et les dissonances légères viennent nourrir une tension sourde qui ne lâche jamais l’auditeur. Il ne s’agit pas d’un crescendo classique, mais d’une montée en spirale qui donne l’impression de tomber à l’envers dans un puits sans fond.
Dans Reverse, les mots sont moins des paroles que des confidences. Ils glissent à l’oreille comme une prière chuchotée dans l’obscurité. La thématique de l’aliénation, déjà présente sur Dreaming From Elsewhere, prend ici une intensité nouvelle. C’est l’histoire d’un corps qui ne trouve plus sa place dans le monde, d’une âme qui avance à contre-courant, étrangère à la langue, aux gestes, aux regards. Comme le dit Scurfield, “on y marche et on y parle à l’envers”, et c’est exactement ce que l’on ressent : ce monde ne nous comprend pas, mais peut-être que ce monde n’est pas fait pour nous.
Plus qu’un single, Reverse est une expérience physique. On le vit autant qu’on l’écoute. On sent la peau frissonner sous l’assaut des guitares, le cœur se serrer à chaque silence suspendu, la respiration devenir plus lourde lorsque la batterie martèle sa rythmique hypnotique. C’est une transe, un passage, un exorcisme intime pour ceux qui se sont toujours sentis de trop.
Shockpowder réussit ici un coup de maître : rendre audible l’indicible, donner forme sonore à cette douleur sourde qui accompagne les êtres en décalage permanent. Et lorsque la dernière note s’éteint, elle laisse derrière elle un vide étrange — celui qui suit une tempête intérieure, lorsque l’on reprend son souffle, lentement, encore secoué mais un peu plus léger.
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