Parfois, la musique ressemble à un carnet oublié sur le comptoir d’un saloon : tâché de bière, annoté à la hâte, plein de visages et de voix qu’on a croisés en passant. Will Rainier écrit comme ça. Ses chansons ne sont pas des confessions frontales mais des portraits voilés, des personnages croisés dans les marges, entre vérité crue et invention poétique. Avec Shapes in the Clouds, il transforme l’Americana en cinéma intérieur, où chaque instrument — de la pedal steel au xylophone — devient un pinceau pour dessiner ces fresques fragiles.
Rainier n’est pas un novice. Vétéran de la scène de Seattle, il a traîné ses guitares dans des groupes punk, indie et alt-country avant de trouver sa voix solitaire. Et cette voix, dans Shapes in the Clouds, sonne comme une caresse rugueuse : imparfaite, terriblement humaine, saturée d’une tendresse cabossée. Là où certains auraient choisi de polir les contours, lui laisse volontairement les échardes, comme pour rappeler que la beauté ne se sépare jamais du désordre.
Le morceau-titre en est le cœur battant. Une ballade suspendue qui pose la question du sens, de ce qu’on cache derrière nos sourires, de ce qu’on tait sous les mensonges. Rainier y écrit comme un poète désabusé, mais sans cynisme : on sent toujours, derrière ses mots, la croyance naïve que la musique peut éclairer les zones grises. Dance with the Dead, plus léger, déploie une insouciance feutrée, tandis qu’I’ll Show You What Too Much to Drink Looks Like, avec son humour noir, dessine une scène de chaos amoureux digne d’un court-métrage country.
Et puis, il y a l’audace inattendue d’une reprise de Whitney Houston, I Wanna Dance With Somebody, transfigurée en ballade country au premier degré. Là se loge tout l’art de Rainier : détourner les évidences, redonner une gravité à la légèreté, rappeler que même les tubes les plus clinquants cachent une solitude universelle.
Avec Shapes in the Clouds, Will Rainier compose un atlas de l’intime, un journal d’ivresse et de rédemption, un témoignage de ce que c’est que de continuer à jouer, coûte que coûte, quand le monde autour chancelle. C’est peut-être ça, son outlaw spirit : rester fidèle à la guitare comme on s’accroche à un phare dans la tempête.
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