On ne sait jamais si on écoute un album ou si on traverse un songe. Luftwaffe’s Poesy de Trude and Soldiers ne s’écoute pas au sens strict : il s’habite, comme une forêt sonore où l’Histoire croise la fable, où les machines de guerre se dissolvent dans les harmonies baroques, et où le souffle d’un faucon se confond avec la voix d’une femme. Cette femme, c’est Trude : créature mythique, mi-ange mi-démon, surgie d’un conte allemand revisité, capable de stopper les blindés par la seule puissance de son chant.
Dès « Panzers Help Us (Rock Poesy) », on comprend que le disque ne sera jamais confortable. Guitares acérées, batterie lourde, et cette voix, à la fois maternelle et spectrale, qui raconte l’histoire d’enfants réfugiés sous les bunkers. Le morceau heurte, mais il installe la figure de Trude comme une héroïne inquiétante et protectrice. Puis « God’s Dimension (Celtic Poesy) » ouvre une clairière mystique : cornemuses synthétiques, réverbérations infinies, une prière celtique déformée par l’électronique. On est pris entre transe païenne et liturgie digitale.
L’album aime les collisions : « Friend from the Kz (Pop Poesy) » ose une mélodie pop presque douce pour raconter l’horreur des camps — le contraste est dérangeant, volontairement. « Birds Can’t Fly (Medieval Poesy) », pièce centrale, assemble vielle à roue, piano, basse et… le cri d’un faucon pèlerin, enregistré et intégré comme une voix. Rarement on aura entendu une telle fusion entre le vivant et l’artifice, entre l’animal et l’humain.
Puis survient « Adrenaline (Eurodance Poesy) », accélération brutale : beats de rave, nappes trance, mais paroles d’anges indignés face à l’illusion humaine que tout s’achète. C’est de la danse comme métaphysique. « Maiden (Renaissance Poesy) » ralentit le tempo : chant pur, presque religieux, sur un roi-soldat imaginaire destiné à régner sur Terre. « I Saw Blood (Folk Poesy) » ramène à la rugosité acoustique : guitare nue, mélodie simple, douleur brute.
Le disque se termine en apothéose baroque : « Soldiers Also Cry (Baroque Poesy) » convoque clavecins et cordes dans un lamento militaire qui humanise les soldats, avant le bonus « Falsetto (Vocal Poesy) », voix seule, nue, presque brisée. Comme si après le tumulte de dix visions hallucinées, il ne restait que ce chant suspendu, fragile, insaisissable.
Ce qui rend Luftwaffe’s Poesy fascinant, ce n’est pas seulement sa richesse instrumentale (hurdy-gurdy médiéval, harmonica, synthés distordus, pianos éthérés), mais sa façon de transformer l’Histoire en légende et la légende en poème sonore. Trude and Soldiers ne rejouent pas le passé : ils l’habitent comme une fiction parallèle, où la guerre se mêle à la magie, où les armes deviennent des métaphores, et où les larmes des soldats comptent autant que leurs balles.
Un disque étrange, radical, profondément inclassable. On y entre intrigué, on en sort hanté. Et longtemps après, on continue d’entendre la voix de Trude résonner dans les ruines comme un écho venu d’un autre monde.
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