Il faut imaginer Prokofiev, guitare électrique en main, en train de dialoguer avec Steven Pinker sous une lumière blanche de néons. C’est un peu ce que provoque The Great Escape: Famine, le nouveau chapitre du duo polonais Transgalactica — un projet à mi-chemin entre l’expérience de pensée et le manifeste rock, entre la raison et la fièvre.
Composé par Tomasz Bieroń et son fils Filip à Kraków, Famine est la seconde pièce du triptyque The Great Escape, extrait de l’album à venir Onwards and Upwards. Et s’il faut chercher un fil conducteur, c’est celui de la survie humaine : comment, après des millénaires de famine, d’angoisse et de pénurie, l’humanité a fini par s’extraire de la peur du manque. Une idée directement empruntée à Steven Pinker, que le groupe cite presque comme un texte sacré : “Hunger today has been decimated in most of the world…”
Mais Transgalactica n’est pas là pour réciter une thèse. Ils transforment les concepts en sons, les courbes statistiques en mélodies. Tout Famine repose sur quatre motifs issus des concertos pour violon de Prokofiev — des fragments classiques réassemblés comme des circuits neuronaux dans une structure rock progressive. Les guitares se font scalpel, les claviers découpent le silence comme un cortex analytique, tandis que la voix de Lukky Sparxx flotte entre le sermon et la transe.
On sent dans cette musique une ambition rare : celle de faire cohabiter le rationnel et l’émotion brute, la science et la chair. Là où d’autres jouent au rock cérébral, Transgalactica prêche une forme de mysticisme de la raison. Le morceau avance par mouvements — intro, strophes, pont, coda — comme une démonstration d’axiomes en tension. Le solo de guitare final, seul moment totalement original, agit comme une libération : la catharsis après la contrainte, la poésie après le théorème.
Il faut dire que le groupe ne s’inspire pas seulement de Pinker : on retrouve l’écho d’une tradition plus européenne, celle de King Crimson, Camel, Genesis première époque — ces groupes qui voyaient dans la complexité un vecteur d’émotion. Sauf qu’ici, la démesure intellectuelle se double d’un calme méditatif : pas de batterie tonitruante, mais des espaces ouverts, des nappes harmoniques qui invitent à la réflexion autant qu’à l’évasion.
The Great Escape: Famine n’est pas un morceau pour se distraire, c’est une œuvre pour penser en rythme. Transgalactica y rappelle que la musique peut encore dialoguer avec les idées, et que la beauté n’est pas incompatible avec la raison. Dans un monde saturé d’instantanéité, ce duo père-fils fait figure d’exception : un laboratoire sonique où la philosophie se joue à volume fort.
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