Je ne sais pas à quel moment j’ai cessé d’écouter Cirque du Sŏnus pour simplement m’y abandonner. Peut-être à la troisième minute de Act I: The Chant, quand la voix d’Antoin Gibson cesse d’être une présence humaine pour devenir une onde, une entité. C’est là, dans ce glissement, que réside le secret du disque : la musique ne décrit plus le monde, elle le crée.
On entre dans cet EP comme on entre dans un temple d’avant-garde. Les sons s’étirent, se répondent, se consument. Act I n’est pas une chanson, c’est une invocation — quelque part entre un souffle sacré et une menace. La voix d’Antoin ne cherche pas à séduire : elle trace un cercle. Tout s’y passe à la limite du visible, dans cette tension parfaite entre la chair et la machine, entre l’émotion et le contrôle. On pense à la liturgie froide de Sevdaliza, à l’architecture spirituelle de FKA twigs, à la folie calculée d’Arca. Mais ici, tout est plus frontal, plus théâtral, presque politique.
Puis vient Act II: The Command. Là, la cérémonie prend feu. Les basses grondent, les percussions tranchent comme des sabres électroniques, et Gibson s’avance comme un prêtre devenu chef d’armée. C’est une montée de pouvoir, une prise de territoire. Chaque mesure impose une forme d’ordre au chaos. La production — chirurgicale, dense, sensuelle — fait de la pop un acte d’autorité. Pas l’autorité du bruit, mais celle du symbole : le son comme sceptre.
Ce qui fascine, c’est cette capacité d’Antoin Gibson à mêler le mystique au technologique sans jamais tomber dans la caricature. Tout ici respire l’intention. Rien n’est laissé au hasard, mais rien n’est figé. Les textures électroniques semblent organiques, mouvantes, prêtes à éclater ou à renaître. On sent derrière tout cela une pensée quasi ésotérique : celle de l’artiste comme alchimiste, transformant le virtuel en sacré.
Et si Cirque du Sŏnus n’était finalement qu’un miroir tendu à notre époque ? Une époque où le bruit a remplacé la foi, où l’on prie devant des écrans, où les artistes sont devenus leurs propres mythes. Gibson ne nous raconte pas ce monde — iel le met en scène, l’incarne, l’exorcise. Son “cirque” est celui du pouvoir créatif, de la métamorphose, de la démesure.
C’est une œuvre totale : à la fois conceptuelle et charnelle, avant-gardiste et profondément émotionnelle. Un rituel contemporain où la pop ne se contente plus de divertir — elle convoque, elle contrôle, elle consume.
En sortant de Cirque du Sŏnus, on a l’impression d’avoir assisté à une cérémonie secrète. Et quelque part, on n’est plus tout à fait le même.
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