Atlanta. Une ville moite, traversée par les fantômes du blues et les néons fatigués du rock sudiste. C’est là que Blackfox a façonné Blackfox4, un disque incandescent, épais, gorgé de tension et de fièvre. Le genre d’album qui ne cherche pas à être moderne, mais vivant — viscéralement, nerveusement vivant.
Il y a dans ces morceaux quelque chose de primal et de cérébral à la fois : une guitare qui griffe l’air, une basse qui halète, une batterie qui ne suit pas le rythme mais le provoque. Et au centre, une meute de voix — Stacey Cargal, Andy Gish, Monica Arrington — trois timbres, trois visages, trois manières de raconter la même chose : la lutte entre la lumière et la rouille.
Le disque s’ouvre avec Beaming, morceau d’initiation écrit par Andy Gish. C’est un uppercut lumineux, une morsure sucrée : guitares en survol, voix en lévitation, et cette sensation étrange d’un sourire qui brûle les lèvres. C’est la joie comme une claque — celle d’être encore debout après l’orage. Puis Bring Your Fire surgit, nerveuse et punk, comme un cri qu’on aurait trop longtemps retenu. Les riffs y sont tranchants, presque percussifs, et Monica Arrington y déverse une rage élégante, celle qui précède l’absolution.
Jump accélère encore : new wave aux articulations punk, énergie d’urgence, tension libératrice. On croirait entendre un vieux 45 tours ressuscité dans une ruelle de Detroit. Et puis Goodbye This Time vient ralentir le cœur. Ballade brisée, mélodie splendide, la voix de Monica flotte entre la résignation et le désir, fragile comme une cigarette fumée au bord du vide.
Mais le cœur battant de Blackfox4, c’est Running Out of Danger — une pièce qui se déploie comme une épopée miniature. La batterie y avance à pas de loup, la guitare s’ouvre comme un couloir vers l’inconnu. On y sent l’ombre de Bowie, l’élégance de Nick Cave, la chaleur du sud et la distance des étoiles. Le morceau bascule sans prévenir entre désordre et maîtrise, prouvant que Blackfox n’imite pas ses influences — il les absorbe.
Difficult fait honneur à son nom : long, dense, traversé de crescendos émotionnels, il pourrait sortir d’une session perdue entre Springsteen et Spiritualized. La chanson déploie un dialogue intérieur entre deux êtres ou deux parts de soi, cherchant à se rejoindre sans savoir comment. C’est beau, lent, presque sacré.
Puis vient She Died Inside, bijou d’ironie pop, proche d’un Costello sous amphétamines. Le titre balance entre noirceur et mélodie addictive, entre éclat et fatigue — un de ces morceaux qu’on sifflote en ignorant pourquoi il fait mal. Strangers plonge dans une gravité pink-floydienne, nappes de synthés, guitares spectrales, basse liquide : le morceau s’étire, se suspend, invite à contempler ce qui reste quand tout s’efface.
Et comme pour refermer la boucle, Sacred — le morceau le plus ambitieux du disque. Six minutes d’ascension spirituelle, alternant les signatures rythmiques comme on traverse des états de conscience. Les voix de Monica et Stacey s’y entremêlent jusqu’à ne plus former qu’un seul souffle, fragile, immense. C’est le moment où la matière devient lumière.
Blackfox4 n’est pas un album qui se résume — c’est une expérience. Une tension entre les époques, un dialogue entre la mélancolie des années 80 et la sueur brute du rock organique. C’est un disque plein de cicatrices, mais où chaque entaille laisse passer la lumière.
On pourrait dire que c’est du rock indé, du punk poétique ou du psychédélisme nerveux. Mais en vérité, c’est autre chose : une cartographie du manque, une géologie du feu intérieur.
Et dans ce monde où tant de groupes jouent sans brûler, Blackfox rappelle une évidence : le rock, quand il est vrai, ne se joue pas. Il se vit.
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