Dans Still A Stranger Here, le nouvel album des Postindustrial Poets, on entend la fatigue d’un homme qui a trop voyagé, trop vu, trop porté. Pete, le capitaine de ce vaisseau luxembourgeois à équipage mouvant, y signe une œuvre qui tient à la fois du carnet de route et du journal de bord intérieur. Le disque n’a rien d’un manifeste, plutôt la confession d’un étranger perpétuel — celui qui, même après des années, reste en transit.
Dès le titre éponyme, le décor est posé : guitare râpeuse, basse moelleuse, voix éraillée, presque usée par le sel du vécu. Le morceau avance à pas feutrés, habité par un groove bluesy que l’on croirait échappé d’un vieux club londonien ou d’un bar paumé de Hambourg. Et pourtant, tout y sonne moderne. L’accident heureux d’un branchement mal fait — une basse passée dans un ampli guitare, saturée par erreur — devient ici la trouvaille d’un son unique, à la fois rugueux et spectral. Une texture qui donne au morceau cette patine “modern retro” si particulière : le grain du passé dans le corps du présent.
On retrouve dans Still A Stranger Here cette tension qui a toujours nourri les grands artisans de la mélancolie : Nick Cave, Tom Waits, Solomon Burke. Mais les Poets ne se contentent pas d’en hériter ; ils en réécrivent les codes à la manière d’un groupe européen qui regarde le blues à travers le prisme du déracinement. La nostalgie n’est plus ici un fardeau, mais une langue — celle de ceux qui ont aimé, perdu, quitté, recommencé.
Le disque navigue entre ombre et lumière : Weeping for the World s’enfonce dans une tristesse presque cinématographique, tandis que I Guess This Thing is Over a la douceur résignée d’un adieu qu’on ne sait pas formuler. Mais ailleurs, la vie reprend. Quelques titres plus légers rappellent que même l’errance peut danser, que l’exil n’exclut pas la joie.
Il y a dans la voix de Pete cette humanité brute qu’on n’entend plus beaucoup. Chaque syllabe pèse son poids de mémoire, chaque silence respire l’entre-deux — ni d’ici, ni de là-bas. Still A Stranger Here parle de frontières invisibles, celles qu’on porte en soi. Et c’est sans doute pour cela que cet album résonne autant : parce qu’il dit avec pudeur ce que beaucoup ressentent sans savoir le nommer.
Un disque d’exil moderne, lucide et plein de cœur, qui fait de l’errance une matière poétique. Les Postindustrial Poets rappellent que le sentiment d’être étranger n’est pas une malédiction, mais un miroir tendu vers notre humanité commune.
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