Il y a dans Owl Creek Blues une lenteur presque surnaturelle, une manière de flotter entre deux mondes, comme si chaque son avait traversé un rêve avant de parvenir à nos oreilles. Sarah Nienaber, alias Blue Tomorrows, ne compose pas de simples morceaux — elle fabrique des climats, des mirages, des chambres d’écho où la mémoire se condense et s’évapore à la fois.
La chanson avance sur la pointe des pieds, avec la grâce fragile d’une aube mal réveillée. Le piano, légèrement désaccordé, semble parler une langue oubliée. Les guitares se dissolvent dans une brume de reverb qui n’en finit plus de s’étirer. Et quelque part entre les craquements de bande et les froissements d’air, la voix de Nienaber — à la fois proche et lointaine — murmure des pensées qu’on croit saisir avant qu’elles ne se désintègrent dans le silence. C’est une chanson hantée, mais pas par la peur : plutôt par la tendresse du souvenir.
Ce qui fascine, c’est la texture du son. Tout y semble vieux et neuf à la fois — la poussière du reel-to-reel, les boucles électroniques qui frémissent comme de la lumière sous l’eau, les harmoniques abîmées du piano. Owl Creek Blues est un morceau qui respire le bricolage magique, celui qu’on fait seul, tard dans la nuit, quand l’électricité devient presque spirituelle. On entend le frottement du réel sur la fiction, du passé sur le présent.
Là où tant d’artistes cherchent la perfection, Nienaber préfère la faille. Elle y trouve une forme de vérité. Chaque saturation, chaque souffle, chaque tremblement devient un battement de cœur. C’est le son d’un monde analogique qui refuse de mourir dans le siècle du streaming. Un geste de résistance, doux et radical.
On pense à Grouper, à Broadcast, aux fantômes de Cocteau Twins, mais surtout à cette sensibilité très personnelle : celle d’une femme qui enregistre la vie comme on tient un journal intime, entre deux saisons, entre deux lieux. La chanson, enregistrée entre Portland et le nord du Wisconsin, porte en elle ce déplacement, cette errance qui devient musique.
Owl Creek Blues n’a rien d’un blues au sens classique. C’est le blues des ombres qui s’étirent au mur, des cassettes qui tournent trop lentement, du souffle du vent dans les cordes d’une guitare oubliée. Une sorte de spiritualité lo-fi, un culte de la lenteur et du son vécu.
Blue Tomorrows signe ici une ballade suspendue, qui ne cherche pas à séduire mais à envelopper. Une musique qui ne raconte pas le passé : elle le fait résonner. Et dans ce bourdonnement de nostalgie, on sent battre le cœur discret d’une artiste qui, entre deux silences, a su faire de la fragilité une forme d’éternité.
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