« Dans War Is Family, Konrad Kinard exhume les fantômes du Cold War kid qu’il a été, pour montrer comment un pays peut façonner ton esprit avant même que tu n’apprennes ton propre nom. »
War Is Family est un musée de la peur. Une traversée au cœur d’une Amérique hallucinée, où la paranoïa suintait des téléviseurs, où les enfants récitaient la doctrine nucléaire comme d’autres récitent des prières, où le mythe familial se fissurait sous les néons des chaînes d’info. Konrad Kinard remonte ce fil traumatique avec une précision de chirurgien : chaque morceau est un diorama sonore, un fragment de mémoire irradiée.
Born A Texan ouvre tout avec cinquante-huit secondes de naissance forcée, presque un générique de vie imposée : il arrive dans un pays où le danger est déjà un membre de la famille. Better Red Than Dead enfonce le clou : un chant de propagande internalisée, saturé de tension industrielle, où l’on entend comment un slogan peut modeler une psyché entière. Siddhartha Goes To Alabama est une collision fascinante entre quête spirituelle et redneck reality : la figure de Siddhartha déplacée dans la Bible Belt devient un sursaut philosophique dans un monde rempli d’armes et de sermons.
Three Sisters agit comme un flash de pellicule brûlée : une minute de souvenir fracturé, presque un polaroid sonore. Red Ant Hill, lui, s’étend comme une marche obsédante dans un paysage mental infesté de menaces invisibles — guitare rampante, souffle mécanique, gravité poisseuse. Daddy Bought A Gun revient au point d’origine : la violence comme cadeau d’enfance. Assassination Postcard, lui, pose un décor d’Amérique-souvenir : l’album photo national, mais rongé par la rouille, les coups d’État médiatiques, les cicatrices d’Histoire jamais digérées.
The Bomb Shelter condense ce qui obsède Kinard depuis l’enfance : le bunker paternel, la peur ritualisée, la préparation comme quotidien. Rockets, ensuite, fait l’effet d’un missile psychique : rythmique martiale, électricité contenue, sentiment d’inévitable. Berlin Preamble installe l’Europe divisée comme un écho intérieur — le mur, la coupure, la voix froide de la propagande. Surrounded Berlin prolonge cette tension en une pièce dense, labyrinthique, qui évoque les villes assiégées par l’Histoire et les individus encerclés par leurs propres certitudes.
Gaslight fracture l’écoute : quarante secondes comme un micro-effondrement psychique. War Is Family, pièce centrale, est le manifeste : Kinard y dit que la guerre est devenue la seule présence stable, la seule entité digne du mot famille. The Rat Hole, court et corrosif, grince comme un couloir vers l’enfance perdue. Dog Tags devient une comptine militaire désenchantée, où l’identité se résume à un pendentif métallique. Russian Bombers réactive la frayeur hertzienne : le bruit d’un ciel qui pouvait s’ouvrir sur l’apocalypse.
Love Orgy Hot surprend par son ironie tragique : l’hédonisme comme réponse panique à une civilisation en bout de course, atmosphère dream-pop tordue, désir contaminé par la peur. Nuke The Russians dure trente-deux secondes, mais elles suffisent : c’est l’absurdité totale d’une époque, sa brutalité simplifiée, son inconscience. Sun Rises est l’un des morceaux les plus longs et les plus étranges : une lente remontée vers la lumière, mais une lumière sans chaleur, comme filtrée par le fallout. Le disque se clôt sur A Texas Summer Night, scène nocturne d’un pays qui dort mal, bercé par les grillons, les armes et les mensonges collectifs.
War Is Family est une excavation sonore : Kinard fouille les ruines, les expose, les fait sonner. Ce n’est pas seulement un album sur la guerre, c’est un album sur ce qu’elle fait aux enfants, sur ce qu’elle fabrique dans les familles, sur ce qu’elle installe dans une nation entière sans jamais s’en excuser. Un disque nécessaire, brutal, profond — qu’on écoute comme on lit un journal intime retrouvé dans un bunker.
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