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Quand la mémoire brûle encore sous le souffle d’un saxophone avec B.I.T. sur R-Esistenze

Quand la mémoire brûle encore sous le souffle d’un saxophone avec B.I.T.  sur R-Esistenze
  • Publishednovembre 28, 2025

« Un album qui avance comme une main sur un visage : avec douceur, avec colère, avec l’inflexible nécessité de ne pas oublier. »

R-Esistenze n’est pas un disque : c’est un seuil. Celui d’un pays qui tremble encore sous ses cicatrices, celui d’un duo — Danielle Di Majo et Manuela Pasqui — qui transforme la littérature, la résistance, les ombres de l’Italie du XXᵉ siècle en une langue instrumentale d’une élégance presque dangereuse. Un jazz de chambre, sensuel et civique, où le souffle du saxophone et la précision du piano deviennent deux narratrices qui murmurent, dénoncent et recueillent ce qui reste des luttes : leur lumière.

L’identità perduta ouvre le cycle comme un miroir brisé. On y entend le vertige de celles et ceux qui ont dû renoncer à leur nom, leur histoire, leur voix. Di Majo y sculpte un saxophone blessé — non pas plaintif, mais digne — tandis que Pasqui déroule au piano une ligne claire, presque austère, qui rappelle que la perte d’identité n’est jamais abstraite : elle est un corps qu’on déplace, qu’on efface, qu’on survit malgré tout.

Brigata Menotti, dédié aux figures de la résistance italienne, change de registre : pulsation grave, tension contenue, un thème qui avance comme un cortège clandestin dans une ruelle humide. Chaque changement d’accord est une porte claquée, un souffle retenu, une consigne murmurée avant l’aube. Le morceau est court, mais il frappe comme un coup de poing dans la poitrine.

Miriam, plus ample, plus narrative, devient une toile expressionniste. C’est la pièce la plus proche d’un monologue intérieur : le piano pose des phrases suspendues, le sax les contredit, les enlace, les transforme. On y devine les mots de Lalla Romano, le courage des femmes qui écrivaient quand la nuit les cernait encore. Une méditation sur la fragilité assumée comme force.

Meriggiare porte en elle le parfum âpre des après-midis brûlants de Montale. Ici, B.I.T. plonge dans une écriture impressionniste : jeu en clair-obscur, respiration étirée, micro-silences qui deviennent autant de battements du paysage. Un morceau qui s’écoute comme on regarde la mer quand elle refuse de répondre.

Sul fil di lama avance en équilibre instable. Le sax y marche sur un fil tranchant, incisif, tandis que le piano donne l’impression de chercher l’issue d’un labyrinthe moral. C’est une pièce brève mais tendue, comme un souvenir qu’on voudrait repousser, sans jamais y parvenir.

Cinque pezzi di luna apporte une rondeur nouvelle : une suite miniature où la lune devient témoin des étapes secrètes de la résistance. Les harmonies y sont mouvantes, presque liquides. On pense à un journal intime sans mots, où chaque motif devient un fragment d’histoire personnelle.

Bagheria accélère le pouls. Court, vif, lumineux, évoquant une mémoire en fuite qui refuse malgré tout l’oubli. On y sent la Sicile comme une écharde : brûlante, fière, intranquille.

Lipari, plus contemplatif, étire le temps. Di Majo respire large, Pasqui sculpte les espaces : c’est une île vue de loin, une solitude choisie, un territoire mental où l’on se réfugie quand tout vacille.

Poisson d’or est probablement la pièce la plus onirique du cycle. Un motif délicat, presque debussyste, qui se transforme progressivement en improvisation viscérale. Le thème nage, disparaît, revient. Une métaphore de la pensée résistante : insaisissable, fluide, indestructible.

Luce di mezzanotte referme l’album dans une semi-clarté : pas la lumière qui rassure, mais celle qui indique que la nuit n’a jamais réellement gagné. Un nocturne inquiet, où le sax souffle comme une mémoire qu’on réveille et que le piano apaise sans jamais l’éteindre. Une fin qui dit : la beauté résiste, parce qu’elle n’a pas le choix.

Avec R-Esistenze, B.I.T. signe un disque qui ne flatte ni la tradition ni l’avant-garde — il creuse, fouille, exhume. Un album d’artistes qui savent qu’un pays tient parfois dans une seule note, et qu’une seule note peut porter tout un siècle.

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Written By
Extravafrench

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